André Montpetit un oublié de la nuit
Texte de Saël Lacroix paru dans la revue française Papiers Nickelés
André Montpetit est l’un des dessinateurs québécois les plus brillants de sa génération, mais qui le connaît aujourd’hui ? Ce dessinateur hors pair à l’imagination débordante, qui enflamma l’univers de l’affiche et de la bande dessinée au cours des années 1960 et 1970, avait disparu de la sphère publique depuis plus de 25 ans. Le 27 septembre dernier, au terme d’une recherche ardue et pleine de rebondissements,je l’ai retrouvé, un mois seulement avant qu’il ne rende l’âme dans un anonymat presque complet. Hommage à un pionnier du neuvième art tombé dans l’oubli.
André Montpetit, dit Arthur, est passé comme une étoile filante dans le paysage artistique du Québec. Né le 20 mars 1943 à Montréal, il manifeste dès l’enfance un talent créatif exceptionnel et laisse présager un caractère indépendant et rebelle. Après un court séjour à l’École des Beaux-arts, dont il ne tolère pas l’encadrement restrictif, il entame dès la jeune vingtaine sa vie de bohème. « Bateau ivre » aspirant à voguer librement, il trouve un port à sa convenance au sein du nouvel atelier fondé par le graveur Richard Lacroix : l’Atelier libre de recherche graphique. La révélation Premier centre de création libre d’estampes au pays, cet atelier montréalais se démarque par son mode de fonctionnement inédit. Tenant d’un art social hérité de l’Atelier 17 de Stanley William Hayter à Paris, il constitue un lieu d’expérimentation des plus dynamiques favorisant l’interaction entre ses artisans. Nourri par l’énergie bouillonnante de cette pépinière d’artistes venus d’horizons divers, Montpetit en fait son lieu de prédilection. Les premières réalisations du jeune surdoué attirent l’attention. Ses dessins, affiches et sérigraphies, empreints d’un humour féroce, choquent le bon goût et bouleversent les idées reçues. Doté d’un esprit acéré doublé d’un sens de l’observation exceptionnel, l’artiste taciturne impose le respect par la force de son trait et celle du regard sans concession qu’il porte sur les choses. Lacroix le redit encore aujourd’hui, sans détour : « Personne ne pouvait lui dire quoi faire. Si l’on interférait le moindrement avec sa liberté, il devenait intraitable. Mais il avait un oeil perçant. Le système, il le comprenait mieux que n’importe qui. »
Les années politiques À la fin des années 1960, la Révolution tranquille bat son plein au Québec. Mai 68 et la Guerre du Vietnam inspirent d’importants mouvements de contestation, le mouvement étudiant est en effervescence et l’idée d’indépendance fait son chemin. Sur la scène artistiquerésonne encore l’écho du cri lancé 20 ans plus tôt par PaulÉmile Borduas et son “Refus Global”. Une jeunesse nombreuse et avide d’innovation entend bien prendre la place qui lui revient. Dans ce contexte, « Arthur » connaît ses moments les plus inspirés. Au sein du collectif Fusion des arts, regroupement d’artistes s’employant à questionner le rapport entre l’art et la société, il réalise une série d’affiches à portée politique sur les thématiques de l’heure. Revendicatrices et innovatrices du point de vue graphique, ces images s’attribuent le caractère populaire de l’affiche tout en faisant accéder celle-ci au statut d’oeuvre d’art. Oscillant toujours entre le dérisoire et le sérieux, l’iconoclaste déclare dans l’une de ses rares entrevues : « Pour moi, ce qui est important en tant qu’individu, c’est de garder le sens de l’humour. Dans n’importe quelle structure, il n’y a pas moyen de rien faire sans cela. Si l’on se prend au sérieux, c’est foutu ! Ce qui m’intéresse, c’est le côté troublefête. S’il faut mettre des bâtons dans les roues de la révolution, je vais en mettre. C’est comme ça ! On veut changer la société ? Mais quand la société va être changée, je vais être dans le même état qu’aujourd’hui par rapport à celle-ci : un état critique. Et ça, il le faut. C’est indispensable. »
Au sommet de son art Au tournant des années 1970, le Québec assiste à la résurgence de la bande dessinée comme médium d’expression artistique. L’heure est au foisonnement d’idées, à l’imagination pure et débridée. De nouveaux créateurs se rassemblent et s’organisent, donnant naissance à ce que l’on surnommera le « Printemps de la bande dessinée québécoise. » Repéré par l’excentrique poète Claude Haeffely, André Montpetit se joint, avec Marc-Antoine Nadeau et Michel Fortier, au mythique Chiendent, premier groupe local de bédéistes. Au sein de l’équipe, les idées fusent et le potentiel créatif est énorme.
Malgré un marché embryonnaire et encore frileux, l’audacieux collectif parvient à faire publier quelques-unes de ses planches dans divers périodiques. Figure de proue de la discipline, Montpetit est alors au sommet de son art. Ses dessins novateurs et ses textes cinglants en font éclater les paramètres et suscitent l’admiration unanime de ses pairs. Serge Chapleau, aujourd’hui caricaturiste à La Presse, le plus important quotidien francophone au pays, se souvient d’un talent brut qui se démarquait : « À cette époque, André était un grand artiste. Ce qui pouvait sortir de la pointe de sa plume était simplement exceptionnel. » Mais l’artiste opiniâtre ne saura composer avec le succès. Bien qu’il bénéficie d’une tribune inouïe avec le magazine à grand tirage Perspectives qui lui consacre une double page couleur, il abandonne après cinq numéros2 une opportunité qui en aurait pourtant fait rêver plus d’un. Peur du regard de l’autre ? Aversion pour le succès et la reconnaissance ? Opposition à toute forme de commercialisation de son art ? Ou incorrigible désinvolture ? Quoi qu’il en soit, il bifurque envers et contre tous, sans égard pour les éloges ou la rétribution. Le grand solitaire n’écoutait qu’une seule voix : la sienne.